Depuis la publication de Fiducia supplicans, une déclaration selon laquelle les prêtres catholiques peuvent bénir des couples de même sexe, des responsables catholiques émettent de vives critiques, particulièrement en Afrique.
Le changement apporté à la doctrine catholique par la déclaration Fiducia supplicans signée par le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le cardinal Victor Manuel Fernandez, le 18 décembre dernier, n’est pas une surprise totale, mais il continue à susciter une levée de boucliers dans l’Église catholique.
Ce texte du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, qui porte sur la signification pastorale des bénédictions autorise la bénédiction des couples en situation irrégulière et ceux de même sexe, il est dénoncé comme étant en porte-à-faux avec l’enseignement traditionnel de l’Église.
Si le Catéchisme de l’Église catholique appelle à accueillir “avec respect, compassion et délicatesse” les personnes homosexuelles et à éviter "à leur égard toute marque de discrimination injuste" (CEC 2358), il déclare implicitement qu’il ne peut être accordé de bénédiction (“approbation”) aux unions.
En février 2021, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi avait répondu à un dubium émis concernant la bénédiction des unions des personnes de même sexe. Face à ce doute adressé à la Curie pour obtenir des éclaircissements, le Dicastère avait souligné l’importance des sacramentaux, dont des rituels de bénédiction, au sein des actions liturgiques de l’Église, en rappelant leur nature de "signes sacrés par lesquels, selon une certaine imitation des sacrements, des effets surtout spirituels sont signifiés et sont obtenus grâce à l’intercession de l’Église".
Ces sacramentaux qui ne sont pas des sacrements "préparent à recevoir la grâce et disposent à y coopérer", selon le catéchisme (CEC 1670). La réponse de février 2021 "n’exclut pas l'octroi de bénédictions individuelles aux personnes à tendance homosexuelle qui manifestent le désir de vivre en fidélité aux desseins révélés de Dieu, comme le propose l'enseignement de l’Église, mais elle déclare illicite toute forme de bénédiction qui tend à reconnaître leurs unions".
Elle insiste sur l’importance de choisir un mode de vie conforme à l’enseignement de l’Église pour être au bénéfice des sacramentaux. Dans un commentaire sur la réponse, le site du Vatican avait indiqué ne pas disposer du pouvoir de bénir les unions homosexuelles, "car elle ne peut pas disposer des desseins de Dieu, qui seraient autrement désavoués et niés".
Des demandes de clarification avant Fiducia supplicans
Le 2 octobre dernier, le pape a répondu aux dubia de cinq cardinaux, notamment à propos de la bénédiction des unions homosexuelles. Ils avaient exprimé leurs doutes après que le cardinal Fernandez, fraîchement nommé à la tête du Dicastère et proche de François, eut suggéré que l’on pouvait envisager une certaine forme de bénédiction des unions homosexuelles.
Ces dubias révisés faisaient également suite aux réponses du pape à de précédentes questions, et cette fois-ci les cardinaux lui demandaient de répondre par oui ou non. Parmi les questions, un dubium quant à "l'affirmation que la pratique répandue de bénir les unions de personnes de même sexe est en accord avec la Révélation et le Magistère" : les cardinaux demandaient si l’Église pouvait déroger "au commencement" de la Genèse mentionnant le couple mixte et le considérer "comme un simple idéal [...] sans manquer à la doctrine révélée".
La réponse du pape appelait à "discerner correctement s’il existe des formes de bénédiction, demandées par une ou plusieurs personnes, qui ne véhiculent pas une conception erronée du mariage". Toutefois, après avoir déclaré que la demande de bénédiction était "un appel à mieux vivre", François ajoutait qu’il ne fallait que les décisions pastorales en la matière deviennent une norme.
Cette approche qui se présente comme casuistique trouve son aboutissement dans la déclaration Fiducia supplicans. Si le document exclut la bénédiction liturgique pour les couples non mariés ou de même sexe, il refuse de ne considérer la bénédiction que sous cet angle.
Après avoir distingué entre une bénédiction descendante (liturgiquement encadrée) et une bénédiction ascendante (la prière montant vers Dieu) et spontanée, Fiducia supplicans déclare que "la prudence et la sagesse pastorales peuvent suggérer que, pour éviter de graves formes de scandale ou de confusion parmi les fidèles, le ministre ordonné s'associe aux prières des personnes qui, bien que vivant une union qui ne peut en aucun cas être comparée au mariage, désirent se confier au Seigneur et à sa miséricorde, invoquer son aide et être guidées vers une plus grande compréhension de son dessein d'amour et de vérité".
Il s’ensuit, selon la déclaration qu’il est ainsi "possible de bénir les couples en situation irrégulière et les couples de même sexe, sous une forme qui ne doit pas être fixée rituellement par les autorités ecclésiales, afin de ne pas créer de confusion avec la bénédiction propre au sacrement du mariage".
L’épiscopat africain en première ligne contre Fiducia Supplicans
Cette déclaration est contestée, surtout en Afrique où le cardinal Fridolin Ambongo, réputé proche du pape, par ailleurs président du symposium des évêques du continent et de Madagascar a écrit à tous les prélats de la région pour critiquer "une ambiguïté".
Il appelle toutes les Conférences épiscopales africaines à réagir avant mi-janvier 2024 à Fiducia Supplicans, ce qui permettra de donner une orientation claire aux fidèles. En République démocratique du Congo, pays du cardinal Ambongo, l’hostilité à la déclaration n’est pas cachée. Un prêtre jésuite déclare que face à "des sorties de route éthiques et inopportunes de François, le schisme est à nos portes". Dans plusieurs autres pays d’Afrique, le rejet de la déclaration du Dicastère est fort.
Au Malawi, neuf des 12 évêques et archevêques ont signé une "clarification" commune en ce sens. Même position au Nigeria, au Cameroun ou au Togo. En revanche, en Côte d’Ivoire, l’archevêque d’Abidjan et cardinal Jean Pierre Kutwã, proche de François, a demandé aux prêtres et diacres de ne pas réagir avant qu’il ne l’ait fait.
Mais en Europe également, des voix de premier plan se font entendre, comme celle du cardinal Gerhard Müller, ancien préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi qui déclare que Fiducia supplicans ne constitue pas simplement "une évolution" doctrinale mais "un saut doctrinal" opposé à la réponse de février 2021 du Dicastère au dubium.
Il souligne que "l’on ne peut parler d’évolution doctrinale que si la nouvelle explication est contenue, au moins implicitement dans la Révélation" et qu’elle ne contredit pas les "définitions dogmatiques".
Jean Sarpédon